Le tour du monde en bande dessinée, Editions Delcourt, collectif, 1er tome paru en 2009

Sur les 11 récits du 1er album, deux m'ont déplu, et j'ai aussi zappé le dernier, apocalyptique et moralisateur. Voici le résumé des huit autres:

1. Etudiant, en côte d'ivoire, Simpliste croit pouvoir bénéficier de la "politique d'immigration choisie" de la France. Il comprend vite que malgré son diplôme de journalisme, il n'a pas vraiment le profil recherché... Il ira tout de même travailler en France, mais pas comme il l'avait prévu.
2. Au Japon, deux ados discutent des cadeaux qu'elles vont demander à leurs amants. Une fringale consumériste qui comple un vide existentiel ?
3. C'est peut-être aussi le problème de la famille Claire, en France, qui voit les malheurs du monde défiler sur son bel écran plat. Pour se rassurer, monsieur Claire impose un ordre irréprochable à ses 800 m² de gazon, comme un dérisoire carré de résistance au chaos planétaire
4. En Corée, un mari trompe sa femme. Les enfants, adultes, vivent toujours chez leurs parents et s'invitent au milieu de la crise du couple. Au pays du matin calme, comme n'importe où, il y a des déchirures universelles
5. En Afrique du Sud, une jeune mère vit mal ses premiers jours avec son bébé. D'autant qu'on est en mai 2008, et le repos qu'elle ne trouve pas chez elle n'est rien à côté des violences racistes et de la misère des townships, bref du monde qui s'écroule juste au-delà de sa porte.
6. Au Cambodge, la douleur d'un vieux peintre, rescapé des massacres, des camps et de la torture, se double du désarroi de voir un pays devenu dépourvu d'âme. Les habitants n'y ont plus guère d'envie de vivre, tout comme ce survivant, apaisé mais meurtri et fatigué.
7. Argentine, 2012. Les biocarburants ont remplacé les derniers hydrocarbures, et le sol fertile devient l'enjeu d'une guerre mondiale, et nucléaire.
8. Belgique: la déchrirure du pays, commentée par un wallon: descriptif, sympathiques, pédagogique, mais qu'en pense personnellement l'auteur ?

Commençons par commenter les défauts de l'album, avant de lister ses mérites:

Comme souvent dans un exercice collectif à thème, la qualité du dessin et la clarté de la lecture ne sont pas les priorités. Il est malheureux que l'éditeur, connu comme gage de qualité (Delcourt, tout de même !) publie des récits de quelques planches qu'il n'aurait certainement pas laissées passer s'il s'était agi d'en faire tout un album. Collectif ou pas, thème ou pas, on devrait pouvoir le lire sans effort. J'ai carrément boycotté les treize planches sur le Québec: quelques gribouillis enfantins nagent dans un océan de texte (manuscrit, en plus !). Si ça c'est de la BD, alors je peux en faire aussi... Très moyen également, le récit sur les E.U., qui est lisible, mais quasiment sans objet, et sans fin. Le manque de chute, de conclusion, est d'ailleurs un reproche que l'on peut adresser à plusieurs récits.

P.78, surgit enfin un dessin magnifique, comme un îlot de bonheur pour les yeux; c'est celui du cambodgien Séra; chapeau bas ! Lui succède un très beau coup de crayon familial argentin, plus rude. En Asie, la douleur serait-elle mieux acceptée qu'en Amérique du Sud, où l'on est plus prompt à la révolte ?

La force de l'album réside en tout cas dans les récits, et leur thème universaliste. La scène surréaliste qui clôt le premier récit est une réussite: deux vigiles de supermarché, immigrés africains, dissertent philosophie et humanisme... Partout, il ne faut pas se fier aux apparences, surtout lorsque l'on observe avec des critères et des valeurs qui n'ont pas court.

Au Japon, en France, on doute, on ne trouve plus sa place dans un monde devenu si proche. Il n'a fallu que vingt ans à la télé pour ouvrir une lucarne partout, suivie ensuite par d'autre media encore plus riches en informations non classées. Avant, on ne savait pas, maintenant, on ne comprends pas. En Corée, on doute aussi. Il faut tellement peu de choses pour annuler des liens que l'on a mis des années à construire ! Au Cap, une jeune mère doute encore: la violence, le repli identitaire, l'absence de générosité sont à sa porte même. Cet enfant qui perturbe ses nuits et ses jours trouvera-t-il sa place ? Au cambodge, le passé a disparu massivement, du coup le présent s'étale sans ombre et sans relief. La télé, toujours, fait irruption pour ébranler encore davantage les pertes de repères identitaires.

La peur est présente dans chaque récit: qui suis-je ? Où va le monde ? Pourquoi tant de souffrances ? Et les miennes ? Désemparés, parfois en colère, nos concitoyens du monde sont contraints de partager les crises et les soubresauts qui agitent la planète, passifs et impuissants devant la douleur de l'autre comme dans leur propre quotidien.