Dans l'empereur de chine, Alix entreprend un long voyage, avec un peu d'avance sur la réalité historique. Mais assez peu: Alexandre le Grand (-350 av J.C.) avait atteint l'Indus par la terre, et il chargea l'un de ses lieutenants de trouver une voie maritime pour revenir en Méditerranée. Ce fut l'occasion d'établir de premiers contacts avec l'Inde, contacts entretenus ensuite par les pharaons égyptiens et par les romains. Un peu plus tard, des navigateurs de plus en plus audacieux s'aventurèrent sur l'océan indien. Les promesses d'échanges commerciaux et les richesses de l'orient valaient tous les dangers. Hipallus, le premier, eut l'idée d'utiliser la mousson pour gonfler les voiles durablement et avancer plus vite d'ouest en est. Au fil des siècles, les marins romains abordèrent à Ceylan, en Malaisie, à Java, puis finalement en chine, sous Hadrien, qui régna de 117 - 138, soit à peine 150 ans après l'époque d'Alix. Malgré l'admiration que suscitent aujourd'hui les aventuriers des courses maritimes autour du monde, véritables héros des temps modernes qui font rêver les citoyens blasés que nous sommes, on mesure mal à quel point un long voyage était périlleux dans l'antiquité, avec les moyens dont on disposait : peu ou pas de cartes, pas d'instruments de repérages, des bâteaux évidemment moins solides, moins maniables et moins fiables. Les navigateurs longeait donc les côtes, évitant de s'aventurer en pleine mer, où les attendaient d'ailleurs des pirates, comme ceux qui attaquent la jonque d'Alix et du prince chinois. Deux navires rapides convergent vers la jonque moins maniable, et seuls les combat livrés par l'équipage permettent de dégager l'embarcation. Après avoir embarqué en Inde, les voyageurs accostent au Cambodge, où un gouverneur khmer accueille avec faste le dignitaire chinois, représentant du puissant empire voisin. Ils atteignent enfin la Chine, pays de traditions et de mystères. L'empereur, ce personnage intouchable, préside en despote aux destinées d'une foule innombrable. Dans la multitude, l'individualité n'a plus le même sens. Les citoyens romains et grecs ont du mal à comprendre la soumission totale aux coutumes parfois cruelles. Leur statut d'étranger leur vaudra peut-être d'échapper à la sanction la plus usuelle pour tout manquement, quel qu'en soit l'importance : la mort par l'épée. Des artistes, des poètes, des courtisans, des serviteurs n'auront pas cette chance. Pourtant, sous son masque impassible, l'empereur est un homme. Sa relation avec son fils, le prince héritier Lou Kien, est particulièrement intéressante. Le jeune homme a sauvé son armée et surtout son honneur. Alors que l'empereur fuyait comme un lâche, le prince s'est lancé comme un fou dans la bataille et l'a remporté. Mais, atteint par une flèche empoisonné, il dépérit lentement. Se sachant condamné, il demande à l'empereur une faveur insensée : déboiser une montagne entière et la peindre en rouge ! Les travaux ne progressent pas au même rythme que le poison, le prince en vient à douter de son père. Pourtant l'empereur, malgré l'inutilité du caprice princier, tente de le satisfaire. La mort fera son oeuvre avant que la tache titanesque ne soit achevée. A l'enterrement, le monarque s'isolera pour que nul nu puisse voir ses larmes. La démesure de l'empire chinois écrase les proportions humaines. Le palais d'été, réplique "miniature" de la cité interdite, occupe pratiquement la largeur d'un lac. non loin de là, dans la montagne sacrée, une grotte immense a été creusée pour placer des bouddhas gigantesques. Lorsque le vent souffle, les géants de pierre chantent une effrayante mélopée. Alix ne verra rien d'autre de ce pays sans fin, que les chinois appellent "le centre du monde". Il repartira amer, interdit de séjour, avec le sentiment d'avoir rencontré et perdu des amis chers sans même que leur souvenir soit préservé par ceux qui les ont connus.
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